vendredi 23 septembre 2016

Inventaire 43 - Back from London 4 (via Bruxelles) : I'll never be 45 again

ROY ORBISON Yo Te Amo Maria

ROY ORBISON
Oh, Pretty Woman
Yo Te Amo Maria

Label : London Records/Monument
Année : 1964
Genre : Ballades rock
10° morceau de L'Inventaire 43 : Yo Te Amo Maria

Roy Orbison n'était pas un rocker. Ce n'était même pas un crooner, tant le terme implique une maîtrise un peu distante de la séduction vocale. 
Lui, avec son léger strabisme caché derrière de grosses lunettes carrées, son physique de Sancho Pança et ses éternelles chansons d'amour, on le voyait mal rivaliser avec Elvis, Eddie Cochran, Chuck Berry ou même Johnny Cash
Seulement voilà : la sincérité du bonhomme, son falsetto presque féminin et la conviction avec laquelle il assène son romantisme naïf finissent par emporter toutes les résistances. Roy Orbison marquera les années 60, sera l'un des rares américains à infiltrer les charts anglais en plein Mersey Beat, survivra tant bien que mal aux années 70 et réussira même un come-back inespéré juste avant sa mort, avec le bel album Mistery Girl, composé entre autres par Elvis Costello, Bono et The Edge de U2 ou encore T-Bone Burnett
Roy Orbison décède en 1988, juste avant la sortie du disque, et avant le succès immense du film qui porte le nom de son plus grand tube : Pretty Woman. Il reste une flopée de chansons sentimentales qu'on ne pardonnerait à personne d'autres, dont In Dreams, que David Lynch réveillera pour la b.o. de Blue Velvet, et, de façon plus confidentielle, cette jolie ballade aux accents hispanisant en face B de l'inévitable Pretty Woman...

THE JAM Smithers-Jones

THE JAM
When You're Young
Smithers-Jones

Label : Polydor
Année : 1979
Genre : Brit'pop
9° morceau de L'Inventaire 43 : Smithers-Jones

On a déjà dit ici tout le bien qu'on pensait de la discographie impeccable de The Jam.
Il est toujours excitant de tomber sur leurs 45t, même lorsqu'on connaît les albums. Sur ce deux titres sorti en aout  1979 en Angleterre, en face A, le morceau When You're Young se classera dix-septième dans les charts, mais ne figurera pas sur le quatrième album sorti dans la foulée : Setting Sons
En revanche, la face B, Smithers-Jones, fait partie des grandes réussites du LP : l'une des rares chansons écrites par le bassiste Bruce Foxton. Sur l'album, ce portrait d'un petit employé de bureau reposant uniquement sur un splendide arrangement de cordes rappelle immanquablement Eleanor Rigby des Beatles
On découvre ici la version du single (qui est à priori celle d'origine), plus conforme au son électrique habituel des Jam, elle n'est pas sans évoquer certains morceaux des Kinks dédiés à la classe moyenne anglaise. 
Plutôt que de choisir entre les deux, on s'émerveillera de la solidité d'un morceau qui garde son pouvoir de suggestion quelle qu'en soit la version. Ce pourrait être la définition d'un classique.

THE TROGGS Any Way That You Want Me

THE TROGGS
Any Way That You Want Me
66-5-4-3-2-1

Label : Page One
Année : 1966
Genre : Rock/Pop 60's
8ème morceau de L'Inventaire 43 : Any Way That You Want Me

Même si les Troggs étaient déjà présents dans l'Inventaire numéro 13 (petite chronique d'époque ici), tomber sur un de leurs singles dans les sous-sols d'un magasin londonien procure toujours un grand plaisir qu'il serait dommage de ne pas partager.
En 1966, au tout début de leur longue carrière, après une série de 45t épatants, arrive ce Any Way You Want Me. Le morceau est plus calme que ses prédécesseurs, plus pop, presque solennel dans le couplet, avant de s'envoler dans un refrain qui détourne habilement les trois accords de Wild Thing
C'est comme une forme d'auto-sampling, un recyclage inspiré dont le groupe était coutumier (voir à la même époque I Want You, décalque presque parodique du même Wild Thing), mais qui produit ici l'une des plus émouvantes chansons de leur discographie. 
Le groupe Spiritualized en fera une reprise majestueuse de 6min30 sur leur premier single, en 1990.

OHIO PLAYERS Who'd She Coo?

OHIO PLAYERS
Who'd She Coo? /
Fopp

Label : Mercury
Année : 1976
Genre : F.A.H. (Funky As Hell)
7° morceau de L'Inventaire 43 : Who'd She Coo?

Les Ohio Players sont aujourd'hui surtout connus et recherchés pour les pochettes de leurs quatre LP : Pain, Pleasure, Ecstasy et Climax, sur lesquelles la top model noire au crâne rasé, Pat Evans, se retrouve seule où avec un homme, dans des postures évoquant clairement le sexe, le cuir, le SM... 
Sans nier la puissance visuelle de ces pochettes, il serait un peu dommage de passer à côté de leur contenu. Durant les années 70, les Ohio Players sortent un peu plus d'un album par an, chargé de munitions funky à ranger pas très loin des Isley Brothers et des premiers Kool & The Gang
En fait, la formation existe depuis 1959 et commence sa carrière comme groupe maison pour un petit label de Dayton (Ohio, évidemment) : Compass Records, puis passe chez Capitol pour un album, avant d'exploser chez Westbound, puis chez Mercury. 
Cette longue maturation explique surement la maîtrise technique absolue d'un sextet de multi-instrumentistes qui écumera les scènes américaines et publiera des albums jusqu'au milieu des années 80, tentant même un retour en 88 avec Back, dont la pochette n'a rien à envier à leur mythique quadrilogie, même si entretemps, les Ohio Players ont mis beaucoup de disco dans leur funk et se sont un peu noyés dans la production plastique de l'époque. 
N'empêche : quand on trouve un single de la bonne période, on ramasse sans hésiter... Même sans pochette.

La mythique pochette de Pleasure, rarissime !

LONGPIGS The Wonder Drug

LONGPIGS
Lost Myself / Floss / The Wonder Drug / When You're Alone

Label : Mother Records
Année : 1996
Genre : Power Pop
6° morceau de L'Inventaire 43 : The Wonder Drug

Ça n'engage que moi bien sûr : Longpigs est certainement le groupe le plus sous-estimé des années 90. 
Classique dans leur formation (voix-guitare-basse-batterie) et guère plus original dans leur son pop-rock, Longpigs allie trois qualités qui auraient dû leur ouvrir les portes du succès. De véritables chansons, écrites et abouties, dont certaines à l'indéniable potentiel tubesque (franchement, quel morceau d'Oasis peut s'aligner sur le démentiel She Said ?). Une véritable puissance de feu, toutes guitares dehors, notamment due au talentueux Richard Hawley (nous y reviendrons un peu plus tard). Et une présence scénique attestée : ceux qui ont vu à l'époque leur concert à la Route du Rock, ou à défaut en ont écouté la retransmission, chez Bernard Lenoir sur France Inter, gardent le souvenir ému d'une prestation chargée en électricité.
Après un démarrage foireux chez Elektra, le groupe est finalement signé sur le jeune label Mother Records, créé par U2. Mais, comme Jack apparus à la même époque*, The Longpigs arrive un peu tard, dans un britpop fatiguée et fatigante. Ils ont beau multiplier les premières parties bien visibles (Suede, Supergrass, Radiohead, et plus tard U2), parcourir les festivals, abreuver les radios de singles, le succès est très relatif, malgré l'accueil chaleureux réservé au premier album The Sun Is Often Out
En 1999 ils sortent Mobile Home, leur deuxième LP magnifiquement écrit, dans l'indifférence quasi-générale. En 2000, leur label ferme ses portes. Lors d'un concert des Pretenders, le chanteur et le batteur se foutent sur la gueule et ce dernier quitte le groupe. Un remplaçant tient les baguettes durant un an, mais l'histoire capote très vite. Fini les Longpigs
Restent deux albums impeccables et une poignée de singles gavés d'inédits (dont ce Wonder Drug qui, comme She Said, jette un œil acerbe sur la superficialité des milieux branchés) et de bon souvenirs... 
Et puis Richard Hawley, le guitariste, qui est allé faire du remplacement chez le groupe de son pôte Jarvis, Pulp, avant de sortir  huit albums hautement recommandables sous son nom. Tout n'est pas perdu... 

* voir le début de ce même mix


THE LONGPIGS Lost Myself (45t) pochette intérieure



NINO FERRER Mao et moa

NINO FERRER
Mao et Moa / Mon copain Bismarck

Label : Riviera
Année : 1967
Genre : Funny Jerk
5° morceau de L'Inventaire 43 : Mao et Moa

Nino Ferrer déclara en 1971 que Métronomie était son "premier album". Nino Ferrer en avait marre d'être le chanteur rigolo des Cornichons et de Mirza. Et, en effet, s'ouvrait à lui une période beaucoup plus audacieuse, musicalement très riche et surprenante, qui ne connaîtra malheureusement qu'un succès d'estime (à l'exception du 45t Le Sud... qu'il disait ne pas aimer beaucoup non plus).
Malgré les perles que contiennent effectivement Métronomie, Nino Ferrer & Leggs (celui-ci tout particulièrement, arrangé en partie par Jean-Claude Vannier : un bijou !), Nino and Radiah et Suite en oeuf, il serait dommage de jeter au panier la période des premiers tubes. 
Comme Dutronc à la même époque, Nino Ferrer fait de la "véritable variété verdâtre", une parodie des sons venus d'Amérique du Nord avec des paroles pleines d'ironie et de jeux de mots. Mais d'une part, comme Dutronc encore, ses textes captent souvent ce qu'il y a de drôle dans l'air du temps (Si je suis rapide et rusé/Quand je fais mes Mao croisés/Me disait un esquiMao/C'est grâce à la pensée de Mao). D'autre part Nino Ferrer s'est emparé du Rhythm'n'Blues américain avec une crédibilité qui faisait cruellement défauts aux yéyés d'à côté. Ses rythmiques claquent comme du son Stax et l'organe de Nino tient bien debout face aux voix de ses maîtres James Brown et Wilson Pickett.
Même s'il n'aimait pas beaucoup le milieu, Nino Ferrer prenait la musique au sérieux dès ses débuts. Du coup, on en profite encore...

RONI SIZE REPRAZENT Who Told You

RONI SIZE REPRAZENT
Who Told You (10'' Promo)

Label : Talkin' Loud
Année : 2000
Who Told You
Who Told You (Instrumental)
Who Told You (Acapella)
Genre : Heavy Drum'n'Bass
4° morceau de L'Inventaire 43 : Who Told You

Difficile de raconter à ceux qui ne l'ont pas vécu la gifle qu'infligent, au tournant des années 90-2000, Roni Size et son gang sur scène. 
Très loin de l'image mécanique déshumanisée qu'on associe un peu vite à l'électro, le Roni Size Reprazent, avec son batteur épileptique, sa contrebasse massive, son MC et sa chanteuse possédés et ses quatre savants fous derrière les outils électroniques peut-être comparé aux plus audacieuses formations  de jazz de la fin des années 50. Toujours sur le fil, en prise de risque permanente, les musiciens déroulent sur un rythme infernal leurs sonorités inouïes et réussissent, malgré l'usine à gaz en surchauffe qui constitue leur ordinaire, à faire sauter en rythme un parterre de danseurs ravis. Jungle, Drum'n'Bass, Electro Funk, toutes les étiquettes sont un peu limitées, voire caricaturales pour évoquer ce qui se passe sur scène. 
Si l'enregistrement ne restitue pas toujours cette énergie, Who Told You, syncope infernale, spirale sans fin, martelée par Dominique Smith alias Dynamite MC donne une petite idée de la puissance d'un groupe dont les deux premiers albums, New Forms et In The Mode marquent le début d'une nouvelle ère dont les héritiers se font, hélas, un peu désirer.   

BOBBIE GENTRY Mississippi Delta

BOBBIE GENTRY
Ode to Billie Joe / Mississippi Delta

Label : Capitol Records
Année : 1967
Genre : Country
3° morceau de L'Inventaire 43 : Mississippi Delta

Nous sommes nombreux à avoir cru ne pas aimer la country jusqu'au jour où nous avons entendu Bobbie Gentry
Outre sa voix rocailleuse et déchirante, Roberta Lee Strater alias Bobbie Gentry écrit des chansons parfaites, dont nombre deviendront, selon la formule consacrée, des "classiques instantanés". Ne serait-ce que sur ce petit 45 tours, le premier de sa carrière qui contient d'emblée deux chefs-d’œuvre. 
La face A, Ode To Billie Joe, est plus connue en France, notamment grâce à la remarquable adaptation qu'en fait Joe Dassin cette même année 1967 : Marie-Jeanne. Mais ce Mississipi Delta, musclé par une rythmique très électrique avec cette étonnante entrée de cuivres graves sur le refrain, prouve que la country des années 60 peut s'inviter sur les pistes aux côtés des plus grands standards de rhythm'n'blues. Ce n'est pas un hasard si le chanteur Billy Lee Riley s'est immédiatement emparé du morceau pour en donner une version légèrement accélérée et terriblement funky à découvrir ici

JACK Biography Of A First Son

JACK
Biography Of A First Son / For Luna

Label : Too Pure
Année : 1996
Genre : Pop with guts
2° morceau de L'Inventaire 43 : Biography Of A First Son

En 1995, Oasis, Blur, Pulp et quelques autres ont sorti l'artillerie lourde et remis l'Angleterre au centre de la culture pop. 
En 1996, la toute puissante "brit'pop" semble vivre ses dernières heures. Trop de meilleurs groupes du monde enterrés avant d'avoir sortis leur premier LP, trop de frime et de déclarations fracassantes en couverture d'une presse complaisante et pas assez de songwriting... 
C'est alors qu'arrive le premier album de Jack, Pioneer Soundtracks, et l'on a bien cru que la relève était assurée. A la fois lyrique et intime, le sextet venu de Cardiff, porté par la voix profonde d'Anthony Reynolds, tranche avec la tendance générale et sort un disque qu'il est difficile de prendre à la légère. Malgré les trois singles impeccables qui en sont extraits, un accueil critique unanime et des prestations scéniques remarquées, Jack passe peu en radio et les ventes s'en ressentent. Après trois albums et 10 ans d'existence, le groupe jette l'éponge.  
Réécouter Biography Of A First Son 20 ans après sa sortie laisse un drôle de goût de nostalgie mêlé d'un sentiment de gâchis...

Anthony Reynolds a sorti depuis quelques albums et continue à se produire sporadiquement sous son nom. 
Il a également écrit un livre sur le groupe Japan et un autre sur Scott Walker et les Walker Brothers
Définitivement un homme de goût...  

THE BEACH BOYS The T M Song

THE BEACH BOYS
Rock And Roll Music / The T M Song

Label : Reprise Records/Brother Records
Année : 1976
Genre : Psychedelic Surf Music
1° morceau de L'Inventaire 43 : The T M Song

Après l'escale hollandaise (voir ici), une nouvelle plongée dans la période la plus confuse des Beach Boys, celle où le groupe, ringardisé par l'évolution de la pop et fragilisé par ses tensions internes, tente de se maintenir à flot entre deux tournées nostalgiques, en sortant des albums plus ou moins ambitieux. 
Au départ, 15 Big Ones devait être un double album, finalement ramené à un simple de 15 chansons*, avec une face consacrée aux reprises, l'autre à de nouvelles compositions dont une seule signée Brian Wilson
Premier single tiré de l'album, ce 45 propose en face A une reprise du Rock And Roll Music de Chuck Berry assez anecdotique. On accordera un peu plus d'attention à cette T M Song, les lettres T et M pour "Transcendental Meditation". Il signe le retour à la production et à l'écriture de Brian Wilson, ici défendant l'un de ses nouveaux dadas, la méditation transcendantale, dans un morceau court mais empreint d'une inspiration qu'on croyait définitivement perdue chez le génie en souffrance. 
Et même si le LA Weekly classe la chanson parmi les 5 chansons les plus "dopiest"  (traduire "débile") du groupe, on continuera à défendre ce drôle de morceau, dédié à une pratique dont Mike Love, le cousin ennemi de Brian Wilson au sein des Beach Boys, s'est aujourd'hui fait une ardent prêcheur.

* L'une des raisons de son titre, en plus du fait que le groupe célèbre en 1976 ses 15 ans d'existence.